Racisme
Le racisme, idéologie partant
d'un postulat d'existence
de races au sein de l'espèce humaine, considère que
certaines catégories de personnes sont globalement supérieures à d'autres sous
tel ou tel aspect1. Cette idéologie
est en théorie distincte d'une simple attitude d'hostilité ou
de sympathie systématique à l'égard d'une catégorie déterminée de personnes,
qui ne relèverait que des goûts de chacun et dont nul n'a à rendre
compte ; cependant des difficultés se révèlent si ces préférences
particulières se traduisent en choix professionnels sur une autre base que
celle de la compétence (chez un chef du personnel en entreprise, ou un policier
des frontières, par exemple). Cette hostilité envers une autre appartenance
culturelle et ethnique peut alors se traduire par des formes de xénophobie ou d'ethnocentrisme pouvant
conduire à des troubles sociaux. Certaines formes d'expression du racisme,
comme injures racistes, diffamation raciale, discrimination autre que
purement personnelle sur la même base, sont considérées comme délits dans plusieurs
pays. Les idéologies racistes ont servi de fondement à des doctrines politiques
conduisant à pratiquer des discriminations raciales, des ségrégations
ethniques et
à commettre des injustices ou violences allant jusqu'au génocide (Arménie, Ruanda, Zimbabwe…).
Le
Petit Larousse définit
aussi le racisme comme « une attitude d'hostilité répétée voire
systématique à l'égard d'une catégorie déterminée de personnes »2. Dans cette
acception étendue, des expressions comme racisme anti-jeunes ou racisme
anti-seniors cessent de prendre allure d'oxymore.
Race et racisme
Si la notion de « race humaine » et le concept du racisme sont partie liée,
l’étude de leurs relations nécessite d’opérer une première distinction entre la
race en tant que concept biologique et la race en tant que construction sociale
que l’on peut définir comme « un signe ou un ensemble de signes par
lesquels un groupe, une collectivité, un ensemble humain est identifié, dans
certains contextes historiques précis, cette apparence socialement construite
variant suivant les sociétés et les époques »14.
Au cours de l'histoire, les définitions sociales de la
« race » se sont appuyées sur la race en tant que concept biologique.
Mais la race, en tant que construction sociale, est largement indépendante des
travaux menés sur la classification biologique des êtres humains. Cette
autonomie se manifeste pleinement depuis la seconde moitié du xxe siècle15 où les effets du système de perception raciste
perdurent en dépit d'un usage moins fréquent, voire d'un rejet de la pertinence
du concept de race par la communauté scientifique.
Racisme moderne
Les différents auteurs qui conçoivent le racisme comme
une spécificité de la modernité européenne s’accordent pour mettre en avant la
conjugaison de trois facteurs dans la genèse de cette nouvelle attitude :
·
Le développement de la science moderne. Il inaugure un
système de perception essentialiste de l’altérité et un système de
justification des conduites racistes qui s'appuient sur des théories à
prétention scientifique de la race.
·
Le développement de la libre-pensée antichrétienne qui
s'oppose au monogénisme que soutient l'Église catholique.
·
L’expansion européenne qui débute au xve siècle52. Elle entraîne la mise en place
d’un système économique et social esclavagiste, et de traites négrières à
destination des colonies ; parallèlement, elle s'accompagne du
développement d’une attitude coloniale à l’égard des populations non
européennes qui pénètre progressivement la métropole53.
Biologisation du social
Pour Colette Guillaumin54 le racisme est contemporain de
la naissance d’un nouveau regard porté sur l’altérité ; il est constitué
par le développement de la science moderne et la substitution d’une causalité
interne, typique de la modernité, à une définition externe de l’homme qui
prévalait avant la période moderne.
Alors que l’unité de l’humanité trouvait auparavant
son principe à l’extérieur de l’homme, dans son rapport à Dieu, l’homme ne se
réfère désormais qu’à lui-même pour se déterminer. Comme en attestent les
débats théologiques sur l’âme des Indiens ou des femmes, le rejet de la
différence et les hiérarchies sociales s’appuyaient sur une justification
religieuse ou basée sur un ordre sacré (caste) ; ils se parent désormais
des habits de la justification biologique, renvoyant à l’ordre de la nature55. La conception de cette Nature
elle-même connaît une mutation profonde : elle devient mesurable,
quantifiable, réductible à des lois accessibles à la raison humaine.
Ce changement de regard engendre un système perceptif
essentialiste : l’hétérogénéité au sein de l’espèce humaine ne doit son
existence qu’à une différence logée dans le corps de l’homme, que les
scientifiques européens s’acharneront à mettre en évidence tout au long
du xixe siècle et
au cours de la première moitié du xxe siècle. Pour Pierre-Henri Boulle, on
peut percevoir en France dès la fin du xviie siècle les premières expressions
de ce mode de perception. C’est au xviiie siècle qu’il se répand parmi les
élites politiques, administratives et scientifiques, avant de se généraliser au
plus grand nombre dans le courant du xixe siècle56.
Pour Colette Guillaumin ce mode de perception se généralise au tournant des xviiie siècle et xixe siècle57. Dans la première partie de son
ouvrage Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt date l’apparition de
l’antisémitisme, qu’elle différencie de l’antijudaïsme, du début du xixe siècle ; c’est aussi la date
d’origine qu’assigne le philosophe Gilbert Varet aux « phénomènes racistes
expressément dits »58.
La propagation hors de l’Europe apparaît dans cette
optique comme un produit de l’influence européenne : André Béteille
développe ainsi la thèse d’une « racialisation » du système de castes en Inde après la colonisation
britannique59. Au Japon, des travaux menés par John Price,
Georges De Vos, Hiroshi Wagatsuma ou Ian Neary au sujet des Burakumin parviennent à des
conclusions identiques
olonisation et esclavage
La question de l’antériorité ou de la postérité du
racisme au développement de l’esclavage dans les colonies européennes fait
l’objet de nombreux débats. Le consensus s’établit néanmoins au sujet du rôle
joué par le développement de l’esclavage sur le durcissement et la diffusion de
l’attitude raciale. L'esclavage colonial se développe en effet, paradoxalement,
à une époque où, en Europe, l'humanisme, la philosophie des Lumières (philosophie) et la théorie du droit naturel devraient logiquement mener à sa condamnation.
Le racisme pourrait être le produit (conscient ou non) de cette contradiction,
le seul artifice permettant de refuser à certaines populations le bénéfice de
droits fondamentaux reconnus à l'Homme en général consistant à croire à
l'existence d'une hiérarchie entre les races.
Selon l’historien américain Isaac Saney, « les
documents historiques attestent de l'absence générale de préjugés raciaux
universalisés et de notions de supériorité et d'infériorité raciales avant
l'apparition du commerce transatlantique des esclaves. Si les notions
d'altérité et de supériorité existaient, elles ne prenaient pas appui sur une
vision du monde racialisée »61.
Développement de l’esclavage et de la science moderne
ont étroitement interagi dans la construction du racisme moderne. La catégorie
de « nosopolitique » qualifie chez la philosophe Elsa Dorlin l’usage des catégories de « sain » et
de « malsain » par le discours médical appliqué dans un premier temps
aux femmes, puis aux esclaves. Alors que le Blanc, considéré comme
« naturellement » supérieur par les médecins, est défini comme
l’étalon de la santé, le tempérament des Noirs est par contraste déclaré
« pathologique » ; il est porteur de maladies spécifiques, que
seule la soumission au régime de travail imposé par les colons peut atténuer,
mais difficilement guérir, tant elles paraissent intrinsèquement liées à sa
nature
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